«Tu n'es pas comme les autres.»
Et ça... je savais. Je savais maman. Tu me l'as répété trop de fois. Je ne pouvais pas te le faire comprendre à l'époque, je n'avais pas encore les mots pour ça.
«Ne les regarde pas quand tu es en colère.»
Pourquoi? Je pourrais leur faire du mal, comme ça? Rien qu'en les regardant? Trop curieuse, trop importante et trop incontrôlable, je l'ai fait. Il y eut une catastrophe dont je ne me souviens pas la scène. C'était un peu comme un long rêve éveillé.
«Tu es ma petite fille. Tu es spéciale. Ne t'éloigne pas.»
Je croyais à l'amour maternel d'une mère pour son enfant. C'était peut-être bien ça finalement. Chaque mère aime... à sa façon. Elle m'aimait. Je recevais ses bonnes intentions et ses leçons en grandissant. Parfois, je ressentais un goût amer à travers toutes ces saveurs.
Je n'aimais pas.
***
À l'école... L'école qui était la mienne... Je n'avais pas d'amis. Ou je ne me souviens pas... C'est étrange. Ma vie durant l'enfance m'échappe. Je ne me rappelle pas grand-chose. Cette sensation de renaître chaque jour, annulant tout passé mais non la nostalgie est puissante. Je sais que j'ai toujours été fascinée par les choses dont on ne pouvait prouver l'existence. J'ai toujours vécu dans un monde qui était le mien. Je n'acceptais pas que d'autres y pénètrent, ou tentent de me joindre à leurs jeux d'enfants. Enfant je l'étais. Je le suis toujours, ça je m'en rappelle. Et je me rappelle que je courais tout le temps pour évacuer ce surplus d'énergie que mon monde me donnait.
Quand j'ai atteins l'instant où le corps physique -- le moins important -- débute son parcours jusqu'au renouveau, j'ai perdu une chose essentielle pour en gagner une autre. Des parents, et... la libération de chaînes en or. Mon corps a pleuré. Pleuré jusqu'au bout de ses dernières réserves. J'avais perdu l'eau, l’élixir de ma vie qui me cultivait depuis toutes ces années, asséchant mes racines que je jurais délaissées. Alors... j'ai peut-être triché. Absorbant les rayons du soleil là où je ne l'attendais pas, j'ai croîs plus vite que la norme. Et j'ai grandi, grandi... jusqu'à atteindre le seuil de mon apothéose. C'est incroyable. Mon corps est resté au sol, mais l'esprit est devenu si lointain... Vous savez, il faut se méfier. Car pour ceux qui ne peuvent voler, être si haut dans ce ciel leur parait être trop petit pour qu'ils le prennent en considération.
Aller en direction du nord.
L'âge des grandes personnes... Je n'ai jamais pu accepter cette idée. Refouler son enfance... Je vis avec. Le numéro qu'on accordait à ma dernière réincarnation sur terre me permettait juste de pouvoir m'envoler plus loin que je ne le pouvais déjà. Il est triste de se dire que... Peu importe qui l'on est, le corps physique doit aller avec l'esprit. L'esprit à lui seul ne suffit pas dans ce monde. Il faut... Un corps matériel. Une preuve. C'est terrible. Apprendre une telle chose m'a fait perdre espoir.
Et pourtant je n'étais pas seule. Je l'ai toujours su, mais prouver à son corps de chair une chose que seul le corps subtil peut comprendre est contradictoire. N'est-ce pas? L'harmonie éternelle, la symbiose avec soi-même est primordiale. Mon plus grand chemin a été celui-ci. La distance parcourue par mes pas est moindre.
Toujours plus au nord.
Le don, la malédiction de ressentir la mauvaise aura, les mauvaises ondes d'un lien a perturbé des jours, des mois, des années de mon existence. Il y avait d'autres choses. L'animal m'a toujours regardée avec des yeux distants ou trop proches.
Les enfants sauvages... Cette métaphore est l'une de mes favorites. Si l'homme mondain rejette ses origines naturelles, je les accepte et les rejoint comme il en était au commencement. Et cette créature qui nous fixe, quelques fois se met à fuir, et d'autres s'approche plus près de vous... Contemplez, contemplez ! Oh... J'ai aimé le règne animal autant que l'être humain. Et je pense que les deux sont des frères qu'il nous faut rapprocher
Ce lien que la spiritualité entretient avec le feu est intense. Je suis... On a voulu de moi que je m'appelle Ama. Je n'aime pas dire que nous avons un nom, une identité. Cela veut dire que nous sommes... déjà domptés. Capturés sous un matricule. Non, vraiment, je n'aime pas. Quand bien même Ama est aussi souple que l'eau, elle a besoin de ce feu pour s'éveiller.
Les loups, ces vieux frères...
La charité d'un humain m'a toujours profondément marquée. Découvrir qui est ton ami, ton compagnon de chemin ou éternel a été l'une des plus jolies choses qui me soit arrivé. Je ne fais pas attention aux numéros, mais j'avais déjà la possibilité d'entrer dans ce monde de labeur pour mériter... gagner... Non. Revenons au troc, comme dans l'ancien temps. Les amérindiens, leur sagesse et leur partage... Dire "merci" pour eux était insensé. Car après tout, il est normal d'offrir et de sourire à son prochain. Pourquoi remercier comme si jamais nous n'avions l'habitude de faire acte de bonté? L'humain et ses marques de politesse... La preuve parfaite de son ingratitude quotidienne.
Je vivais dans cette vieille bibliothèque, près de mon jardin. C'était à l'autre bout du village. Un bien bel endroit... Au nord du monde. Je ne me souviens jamais des noms. J'ai tenu à aménager ce qui allait être mon univers. Une brocante formidable ! Un endroit grandiose, intime, si haut avec ses bougies qui éclairent le plafond, les vieux ouvrages et ces vinyles... Là où tout un chacun viendrait pour partager quelque chose. Un sourire, du temps, un morceau de la vie, un souvenir, une peine... Je ne veux pas avoir à abandonner quelques pièces dorées pour vivre.
Vie bohème.
Des phénomènes étranges suivent le parcours d'une personne détenant les capacités d'un... grand guide. Est-ce un cadeau, ou un fardeau? Aurais-je préféré être comme toute personne simple sur terre? Je fais en sorte de n'avoir jamais à répondre à ces questions aussi horribles. Il n'est pas sujet à savoir si ce que je suis aujourd'hui a quelque chose de dérangeant... Selon mes croyances, "être" est magnifique. Allons ! Il est temps d'être heureux ! C'est la moindre des choses que l'on puisse faire pour remercier les cieux...