Hunter Trey Coleman

"Pas de sentimentalisme, je suis à deux doigts de me sentir humain."

« Je t’interdis de parler encore une fois de mes parents … » J’ai la machoire serrée, comme un étau, si serrée que j’en ai mal, que je ne peux plus articuler. Mes mains ne forment plus que deux poings, telles deux massues qui pendent au bout de mes bras. Mes ongles s’enfoncent dans ma paume et tous mes membres tremblent. Je suis à deux doigts de me transformer, je sens mon loup s’agiter en moi, la douce vibration de sa possession qui se propage en moi, mais je ne peux pas me transformer. « Et quoi, qu’est-ce-que tu vas faire, sale cabot ?! » Le grognement sourd qui se fit entendre de ma cage thoracique fit pousser des cris de surprise aux membres de la meute. J’étais clairement en train de déclarer la guerre à notre nouvel Alpha. « Le cabot t’emmerde ! Espèce de connard ! » L’homme devant moi se mit à rire, renversant la tête en arrière, riant de plus en plus fort. Je sentais la tension de mes frères et sœurs onduler sur ma peau. Ils étaient effrayés. L’alpha cessa soudain de rire et riva son regard noir au mien : « Ton enfoiré de père était l’homme le plus faible que je n’ai jamais vu ! Il n’était bon à rien. Il n’a jamais su protéger sa meute … Et ta mère, ta salope de mère … » Je perdis le fil des évènements. Ma vue se brouilla. Mes membres se contractèrent, durcirent, mon cœur sembla s’arrêter tandis que le feu me ravageait de l’intérieur. Quelqu’un s’agrippa à mon bras. Le doux fumet qui me parvint me rappela celui de ma sœur, et enfin, sa voix chantante confirma ce que je pensais : « Je t’en prie Hunt, il va te tuer, pitié ne fait pas ça… J’en mourrais s’il te tue ! » Elle sanglotait dans mon dos mais je tentais vainement de dégager mon bras de sa prise. « Ah ah ah, que c’en est risible. Une famille de lâches, merveilleux. Je devrais vous expulser de la meute … » Je ne me reconnaissais plus. Je me mis à grogner et me retourner vers ma sœur en claquant des dents. Ses mains lâchèrent aussitôt mon bras et je me jetais aussitôt sur notre nouvel alpha. Tout devint noir, ou rouge. La violence de nos coups nous faisaient pousser des grognements sourds, jusqu’à ce que mes griffent, mes dents percent sa peau, qu’un couinement aigu retentisse. Alors, je n’attendais plus une seule seconde et envoyais les coups, le plus rapidement possible, les enchainant à une allure folle. Le sang de l’homme maculant d’abord mes bras, puis ma gueule. Ses cris se firent de plus en plus forts et rapprochés, jusqu’à ce que je n’entende plus rien, jusqu’à ce que je ne sente plus que l’odeur caractéristique du sang. J’étais euphorique. A moitié mort, mais euphorique. Où était cet enfoiré que je le termine ? Mon désir de vengeance n’était pas encore totalement assouvi. Il fallait que le sang coule, que je me roule dedans, que je m’abreuve de lui. Cet enfoiré qui avait défié mon père alors que ce dernier avait tout fait pour le protéger et le faire entrer dans la meute. Mais ce connard était aveuglé par le pouvoir. Alors il avait défié mon père, l’avait massacré, en profanant sa mémoire, criant à tous les membres de la meute que mon père n’avait été qu’un lâche, qu’il n’avait jamais eu l’étoffe d’un chef, d’un Alpha. Puis il s’en était pris à ma mère, il l’avait violée, torturée, pour enfin la tuer sans autre forme de procès. Il avait réduit notre famille à néant, il nous avait détruit et j’étais arrivé juste à temps avant qu’il ne s’en prenne à ma sœur. La rage déferlait en moi comme une vague qui ravage tout sur son passage. Un véritable tsunami. Je ne me sentais plus humain. Tout ce que je ressentais c’était mon loup, affamé. Ce n’est qu’au bout d’un interminable moment que je sentis ma sœur approcher. « Hunter… Hunter, il faut soigner tes blessures, vient je t’en prie, ne reste pas là … » J’étais incapable de savoir si j’avais repris ma forme humaine ou non, ni même de savoir si je souffrais d’une quelconque blessure. Bien sûr je savais qu’il ne m’avait pas épargné, que j’avais pris de sacrés coups et que je n’étais pas seulement maculé de son sang. Mais j’étais sous le choc, trop abasourdi par ce que je venais de faire, par le don que je venais de recevoir. Le sang qui imprégné la terre coulait jusqu’à moi, les membres arrachés, déchiquetés de cet enfoiré étaient disséminés autour de moi. Il ne restait plus rien. Juste moi. Juste ma meute. Juste ma vengeance enfin assouvie.

Nous avions grandis dans une famille aimante, Trinity et moi, une meute aimante même. Notre père avait su nous inculquer les vraies valeurs qui font de nous des loups. Notre mère nous avait baignés d’amour, nous avait enseigné ce qu’était qu’aimer, d’un amour véritable et pur. Trinity était venue au monde six ans après moi, et je me souviendrais toujours du jour où je l’ai vue pour la première fois, sa petite frimousse, sa peau de pêche rougie par les hurlements qu’elle avait poussé quelques secondes auparavant, ses petits poings qu’elle avait fermés, ses pieds pas plus grands que ma paume, et sa tignasse blonde et toute bouclée. A peine mes yeux s’étaient posés sur elle que je l’avais aimé, que j’avais compris qu’elle serait tout pour moi, la prunelle de mes yeux. Toute ma vie j’avais pris soin d’elle, toujours présent lorsqu’elle avait besoin de moi, toujours à l’écoute de ses problèmes, elle représentait tout ce qui m’était cher. Ma famille. Mon sang, la chair de ma chair.
Lorsque le téléphone sonna, ce jour-là, je ne m’attendais pas à ce qui se passerait par la suite. Jamais je ne me serais cru assez fort pour survivre à tout ça.

« Trey … C’est Trini ‘… » Sa voix était érailée, faible. Je répondis un peu brusquement, une drôle de sensation s’était installée dans mon ventre, comme si un ver me rongeait de l’intérieur : « Chaton, je sais que c’est toi … Qu’est-ce-qu’il se passe, ça ne va pas ?! » Son souffle était irrégulier, comme si elle cherchait à respirer, comme si elle peinait à trouver de l’air où elle était : « Trey, je suis désolée … je … pardon … J’ai besoin d’aide … » Mon estomac ne fit qu’un tour, mon cœur cessa de battre, et tout l’air de mes poumons sortit d’un coup. « Qu’est-ce-que tu racontes chaton … » Des sanglots se firent entendre, mon cœur se brisa en un milliards de morceaux. « J’ai besoin de toi Trey … » La communication coupa sans que je puisse répondre. Je me levais d’un coup et ramassais mes clés de moto, mon casque, mon porte-feuille et sortais précipitamment de notre grand maison à l’orée de la forêt, que nous occupions depuis un an, dans la petite ville de Dawson  City. Des pas retentirent derrière moi, mon bêta descendit les marches du perron et me rattrapa rapidement : « Mec ! J’ai entendu ta conversation … Ca va ? » Les machoires serrées, je ne comprenais plus ce qui était en train de se produire. Je passais rapidement une main sur mon visage avant de fixer mon bêta : « Depuis quand tu écoutes mes conversations ?! » Ce fut tout ce que j’étais capable de lui dire. « On a tous ressentis ta peur, ton angoisse … » Je jetais un coup d’œil derrière lui où se trouvait le reste de ma meute. « Trini’ a des soucis … Je savais que j’aurais dû y aller avec elle. C’était juste censé être un week-end avec une amie. Mais … Elle a des problèmes… Je dois y aller. » Il opina du chef avant de me serrer rapidement dans ses bras. Les bras ballants, je ne savais pas comment réagir. « Tu veux que je vienne avec toi mec ?! » Je secouais la tête, enfilais mon casque et montait sur ma moto avant de partir en trombe.

Son corps inerte baigne dans une mare de sang. Son si petit corps. Ses longs cheveux ne sont plus blonds comme les blés, mais souillés par du sang, son propre sang. Des nausées s’emparent de moi. Les murs, d’ordinaire immaculés, de la petite pièce où elle se trouve portent les traces d’un véritable carnage. De grandes traînées de sombres sur le sol témoignent de la violence de l’agression. Je ne discerne plus son visage sous les hématomes, les coupures. Il est déformé. Je ne la reconnais plus. Ma sœur. Les larmes me montent aux yeux, obstruent ma vision. Son odeur emplit mes narines. Mais elle est faible, bien trop faible. La vie l’a quittée. Elle est recroquevillée en chien de fusil, à moitié nue. Sa gorge est arrachée, la peau de son corps lacérée. Je n’ose pas regarder plus bas, en direction de ses jambes. J’en suis incapable. Mes genoux cèdent soudain et je tombe dans la flaque de sang qui s’est formée près de son cou. Je ne contrôle plus mon corps. Je ne ressens plus rien. Je suis vide. Des larmes coulent, roulent sur mes joues et tombent sur le parquet dans un bruit sourd. L’eau salée se mélange à l’élixir de vie.  Ses yeux vitreux grand ouverts fixent la porte d’entrée tandis que je glisse mes bras sous son corps pour la serrer contre moi. « Oh mon dieu … Trinity ! » La douleur déferle en moi, se propage comme le pire des venins. L’odeur est de plus en plus insupportable. La mort empeste. La mort s’installe. Son corps froid contre mon torse me donne de nouvelles nausées. Et soudain. Un hurlement monte dans ma cage thoracique, me brûle la gorge, résonne dans la pièce. Mon corps est secoué de tremblements. Une douleur aiguë me rendit temporairement aveugle, tandis que mon cerveau semblait bouillir. Je me levais précipitamment. Il fallait que je sorte d’ici, que je parte loin, loin de toute cette douleur. Tous mes membres tremblaient si fort que je n’arrivais plus à marcher, à courir. J’étais à deux doigts de me transformer. Je sentais mon loup hurler à la mort, il voulait venger, il voulait tuer.


Je courais, je me laissais guider. Ma douleur était trop pressante, trop puissante pour que je reste sous forme humaine. Il fallait que mon loup prenne le relais. Il fallait que j’oublie, que je me déconnecte. Je ne pouvais plus être Hunter. J’étais mort une nouvelle fois. Mon être entier n’était plus qu’une plaie béante, j’étais vide, mort. Une autre partie de mon âme venait de m’être arraché. Mon loup frôlait la surface de mon être tandis que je courais sans m’arrêter. Jusqu’à ce que j’arrive dans ce qui semblait être une ruelle mal éclairée. J’étais incapable de savoir quelle heure il était. J’avais l’esprit enrhumé, engourdi. Je ne comprenais plus rien, guidé par l’instinct de mon animal. J’inspirais un group coup pour capter toutes les odeurs. Celle de la rouille persistait, mais une autre sembla sortir du lot. Une odeur humaine. J’en eu l’eau à la bouche. Il me suffit de quelques secondes pour retrouver la trace de l’humain. Une jeune femme, seule. Je fondis sur elle. La plaquait contre le mur avant de coller mon nez contre son cou. J’émis un grognement avant de lui demander d’une voix rendue rauque par la douleur: « Quel est ton nom ?! » j’empêchais la jeune fille d’hurler en plaquant une main sur sa bouche tout en la coinçant de mon corps. Elle bégaya quelque chose contre ma main, « A… Aziel… » Je serrais les mâchoires avant de lui grogner : « Vraiment désolée Aziel. » Mes dents plongèrent dans sa gorge.
Un an. Un an que Trinity est morte, un an que j’ai transformé cette pauvre fille sans qu’elle n’ait rien demandé. C’est un poids qui pèse dans ma poitrine, surtout depuis que je lui ai demandé de rejoindre la meute à Dawson City. Elle s’est longtemps haït et aujourd’hui c’est sa mère qui la traite de monstre. Mais je n’ai pas le choix. La meute doit être réunie. Je dois pouvoir protéger les membres de ma famille, réussir enfin à les garder en vie.