Cela ne faisait que quelques temps que ma famille et moi, nous nous étions installés en ville. Je me sentais paumé, seul, déstabilisé. Les gens diraient que j'ai le mal du pays. Mais ce n'était pas le cas, enfin, pas vraiment. Je ne connaissais pas les lieux, et bien qu'il n'y avait pas la barrière de la langue, mon accent en faisait rire plus d'un. Quelques personnes avaient du mal à me comprendre, et je devais répéter à plusieurs reprises mes requêtes afin que l'on puisse me comprendre.

Aujourd'hui, j'avais demandé à un marchand de journaux la route pour aller jusqu'au café. J'y avais rendez-vous afin de rencontrer une jeune fille, dont le père avait demandé à ce que je lui donne des cours de Littérature. Aujourd'hui, je voulais tout d'abord la rencontrer afin de mieux la connaître, de discuter des sujets qu'elle voulait entreprendre avec moi.

Lorsque j'arrivai enfin dans le café, je regardais l'espace avec beaucoup d'attention. C'était un endroit tranquille, où les gens devaient passer un bon moment pour se retrouver devant une tasse de boisson chaude, discuter de leur journée entre amis, ou se détendre seul devant un journal.

Je commandais une tasse de thé et m'installa à une table, déballa mes affaires, stylos et bloc note, puis attendis patiemment la jeune fille, qui j'espérais, n'allait pas tarder.

Le regard dans le lointain et le nez dans ma tasse de thé, j'observais le vent souffler dans la cime des arbres. Certes, ils étaient sans feuillage, mais ils n'en restaient pas moins beaux, attendant le jour où de nouveau, ils pourraient montrer leur grandeur aux yeux de tous. Ils dominaient tout, ces arbres avaient une vue imprenable sur la ville et ses alentours, respiraient l'air sans pollution et j'imaginais qu'ils étaient plus vieux que le plus vieil habitant de Dawson city.

Perdu dans mes pensées, je n'avais pas remarqué cette fille qui s'était approchée de moi d'un air affolement sûr d'elle. Et lorsqu'elle s'est assise devant moi, je suis resté figé, le regard posé sur elle et ma tasse de thé dans la main. Je la posais alors soudainement, et le bruit fracassant de la collision entre la table et la tasse attira l'attention sur nous. Je m'excusais d'un signe de tête, puis me tourna de nouveau vers la jeune fille.

Je la détaillai du regard alors qu'elle me demanda si j'étais le garçon demandé par son père pour lui donner la leçon. Je me pinçais les lèvres, apparemment, c'était à mon tour de lui parler. J'avais imaginé ça autrement, je lui aurais donné des feuilles et elle m'aurait écrit qui elle était, d'où elle venait, ses aspirations, ses désirs et ses rêves. Mais apparemment, et comme je le redoutais, donner des leçons particulières signifiaient bien plus qu'échanger des notes. Son regard me troubla alors, ce regard si intense et si vivant me rappelait dangereusement la fille dont j'avais toujours été amoureux, et dont j'étais encore amoureux. C'était navrant, et moi, j'étais misérable. J'étais misérable de comparer cette fille que je ne connaissais même pas à celle qui avait partagé mon quotidien durant presque toute ma vie. Et de mon accent si particulier, je prononçais enfin quelques mots.

- Oui, bonjour, heu... Je m'appelle Rudy Lovecraft. Tu dois être, Amy ?

Elle avait de longs cheveux châtains, et un regard dont la couleur m'échappait encore tellement il était lumineux. Sa peau me paraissait pâle, mais peut-être était-ce à cause de l'éclairage léger, mais également car il était l'heure de l'hiver. Je voulais éviter de la regarder avec insistance mais il était impossible de me faire plus discret. C'était la première personne que je rencontrais qui n'était pas un professeur, ou une voisine curieuse de savoir si ma famille et moi étions des partisans de l'abominable homme à la moustache ridicule et aux idées très médiocres. Bien entendu, je ne faisais pas parti de ceux-là, je ne faisais parti de rien, enfin... je ne faisais plus parti de quelque chose.

Je repris alors mon souffle, puis ouvris mon bloc note afin de lire les quelques notes que le père de la jeune fille m'avait apprit sur sa fille.

- Alors, ton père m'a dit que tu aimais beaucoup lire ? J'aime ça moi aussi, je suis en première année de Littérature ici... Et toi, quel âge as-tu ? Tu veux faire Littérature toi aussi?

Intérieurement, j'espérais que oui, car, pour tout dire, si ce n'était pas le cas, alors je ne savais pas ce que je faisais là.